Temps couvert et brumeux. Par moment le vent nous amène un air malsain à respirer et peu de temps après notre lever nous apprenons que les Boches ont lancé des obus à l’ypérite dans le ravin d’Heurias ou de Louvemont à diverses reprises durant la nuit.
La 2ème équipe étant de jour est envoyée au 1er bataillon en réserve maintenant dans ce ravin pour désinfecter et répandre du chlorure de chaux un peu partout.
Vers 10h les Boches recommencent mais cette fois dans notre ravin (ravin le Prêtre) ils en lancent environ cinquante. Nous fermons hermétiquement notre porte, allumons la lampe, le masque pendu au cou et nous deux Gugusse nous mangeons la soupe en attendant… qu’ils cessent. Heureux que la séance ne dure pas longtemps.
Quand nous mettons notre nez dehors après la soupe, l’odeur du gaz est très faible et ça sent un peu tout ce que l’on veut : parfois une odeur de violette, de chocolat, de menthe ou un vieux goût de marée, mais quelque soit l’arôme il faut s’en méfier et suivre les prescriptions qui nous ont été données à ce sujet.
Inutile de faire le fanfaron ou l’imprudent.
Après-midi tranquille. Aussitôt après la soupe du soir nous partons (4ème équipe) pour réapprovisionner le poste en pansements, graisse à pieds chlorure de chaux, etc. Nous prenons plusieurs bains de pieds dans cet interminable boyau tortueux et nous faisons vite voulant profiter du calme qui régnait.
Dans toutes les vallées le gaz ypérite se sent encore mais la densité est très faible. Nous rencontrons les mulets et les bourricots chargés de matériel en revenant. Comme nous descendons de Montsapin, les Boches bombardent à nouveau le ravin de Louvemont avec des obus à gaz ypérite.
Alors, au lieu de suivre une partie de cette vallée pour reprendre ensuite notre boyau A2, nous préférons passer en terrain découvert et marcher droit devant nous vers nos sapes qui sont de l’autre côté de la côte ; de sorte qu’en passant par-dessus la crête nous sentirons moins les gaz car ces derniers sont plus lourds que l’air et s’amassent dans les vallées.
Nous arrivons enfin à nos sapes mais à peine rentrés, des obus passent au-dessus de nous et vont éclater vers le poste de secours des G.B.D. (226ème). A l’éclatement nous reconnaissons bien quels sont ces obus et il n’y a plus de doute. Ceux du ravin de Louvemont, d’Heurias tournent à toute volée pour prévenir de la présence des gaz afin de prendre les dispositions nécessaires pour écarter tout danger.
Enfin la porte bien fermée nous nous endormons nous deux Gugusse.
Nous apprenons que trois cents hommes du régiment ont été évacués rien que par intoxication ces jours-ci sans compter les grands blessés, les blessés légers et les tués.
Le commandant de notre 3ème bataillon, un lieutenant un caporal et le médecin major de ce même bataillon sont évacués ce matin pour intoxication.
Il reste trois survivants à la C.M.3. Presque toute la 11ème Cie est à l’infirmerie à Verdun et le bataillon (3ème) qui est en ligne en ce moment pense être relevé demain soir.
Les deux autres bataillons du 26ème sont beaucoup moins éprouvés que celui-là.